Il y a quelques jours, nous apprenions par le journal Der Spiegel que le Qatar et d’autres investisseurs envisageaient de prendre une participation jusqu’à 25% dans le capital de la Deutsche Bank.
Cette nouvelle intervient dans un contexte financier extrêmement préoccupant pour la Deutsche Bank, la banque étant notamment sous la menace d’une amende de 14 milliards de dollars aux États-Unis dans le cadre d’un litige lié à la crise des « subprimes ». Même si les dernières informations laissent espérer un accord proche avec les autorités américaines pour réduire cette amende à 5,4 milliards de dollars, l’avenir de la première banque d’Allemagne reste fortement compromis. Afin de réduire ses coûts, le directeur financier de la Deutsche Bank aurait informé des représentants de l’établissement le mois dernier que les suppressions de postes programmées (9.000 annoncées en octobre 2015) pourraient être doublées. La situation s’est encore dégradée avec les révélations du Financial Times sur la partialité de la BCE vis-à-vis de la Deutsche Bank lors des derniers tests de résistance menés par les grandes banques de la zone euro durant l’été dernier.
Face à une telle situation, les milieux financiers allemands et européens sont prêts à tout pour sauver la Deutsche Bank, jusqu’à s’offrir encore plus complètement aux Qataris. Déjà principaux actionnaires (à hauteur de 10%) depuis 2014, nos chers alliés cheiks envisagent de prendre une participation de long terme dans la banque allemande, avec le soutien de fonds souverains. Leur participation atteindrait alors 25% du capital de la banque !
En réalité, cette annonce renvoie à deux questions qui dépassent le seul univers de la finance.
D’une part, l’usage abusif du droit américain à l’encontre d’entreprises européennes contraintes de payer des milliards de dollars d’amendes, ce que certains parlementaires français qualifient de “racket”. Les entreprises européennes auraient en quelques années versées aux différentes institutions et administrations américaines quelque 16 milliards de dollars au seul titre d’infractions aux embargos décidés par ces mêmes Etats-Unis.
D’autre part, la mise au second plan de toute réflexion morale et géopolitique de nos dirigeants politiques et financiers. Si personne ne peut remettre en cause la légitimité d’un nécessaire sauvetage d’un acteur majeur de l’économie allemande et européenne, et donc des emplois menacés, il n’est pas interdit de s’interroger sur la « moralité » et les intentions des prétendus sauveurs. En l’espèce, de qui s’agit-il ? D’une entreprise, d’une banque ? Non, il s’agit bien d’un Etat souverain, et quel Etat ? De multiples enquêtes et les révélations Wikileaks ne laissent plus planer le doute : le Qatar est avec l’Arabie saoudite, la principale source financière et militaire de l’extrémisme islamiste. En outre, la situation des droits de l’Homme au Qatar est catastrophique (maltraitance de travailleurs migrants, au point que l’on peut parfois parler de travaux forcés ou d’esclavage). Enfin, la peine de mort reste en vigueur, ainsi que les punitions corporelles, notamment la flagellation.
Malgré les preuves qui s’accumulent, le ministre allemand des Finances aurait affirmé ne pas avoir « de problème avec un tel investissement ». Mais peut-on jeter la pierre aux allemands alors que la France a accordé au Quatar en 2008 un statut fiscal exorbitant pour ses investissements en France, notamment en matière immobilière ? Les multiples investissements quataris dans notre pays ne soulèvent pourtant ni inquiétude ni réserve de la part de nos dirigeants politiques.
Les partisans de la Realpolitik nous diront de circuler ! Nous pourrions fermer les yeux si nos gouvernements ne tenaient pas en parallèle des discours larmoyants et moralisateurs, s’ils n’habillaient pas leur cynisme d’un masque geignard ou de postures martiales. L’on refuse de recevoir Poutine mais l’on se fait offrir des sabres par l’Arabie Saoudite. L’on promet de “droner” Assad, mais l’on vend notre plus beau joyau viennois au Qatar ! Que la première banque d’Allemagne, première économie européenne, risque de passer sous le contrôle d’un pays qui finance ceux-là mêmes qui cherchent à nous affaiblir, cela devrait provoquer des hurlements. Pourtant le silence est assourdissant…
Quand viendront les politiques qui empêcheront les banquiers de vendre le patrimoine à nos ennemis ? Peut-on encore exiger de ceux qui nous gouvernent de faire preuve de discernement historique et politique dans des décisions qui engagent l’avenir de leurs peuples ?